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ROMAIN D’ÉTRETAT.

ver, on se rassemblait quelquefois pour fumer et manger des rôties au cidre, tantôt chez Romain, tantôt chez un autre. Dans les commencements, on aimait à faire raconter à Romain tout ce qu’il avait souffert et osé pour échapper à la conscription.

Les plus audacieux marins s’étonnaient, et Bérénice était fière et heureuse en pensant que c’était pour elle que son mari avait fait de tels prodiges.

Mais venait ensuite le tour de ceux qui avaient servi. Ils étaient on ne peut plus enorgueillis de la gloire qu’on les avait forcés d’acquérir ; chacun d’eux croyait avoir gagné la bataille où il avait eu peur. Les exagérations les plus grotesques trouvaient de crédules auditeurs. Pour Samuel Aubry, il affirmait que son portrait était sur la colonne de la place Vendôme, formé d’un canon qu’il avait enlevé tout seul.

Les anciens militaires s’arrogeaient entre eux une incontestable supériorité sur ceux qui n’avaient pas servi ; ils avaient la parole dans les assemblées, désignaient les santés, prenaient des airs séducteurs avec les femmes et goguenards avec les maris, ils ne permettaient à personne