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ROMAIN D’ÉTRETAT.

racher à tout ce que j’aime : je me battrai bien mieux et avec bien plus de cœur. Non, certes, je ne veux pas me tuer, je veux te voir ; je veux voir la mer jusqu’à la fin. Tu verras s’envoler ma feuille de route : tu compteras les morceaux que le vent emportera ; ça te dira à quelle heure tu devras te trouver à l’avalure (chemin dans le roc) de la porte d’Amont. J’aurai besoin de toi.

Bérénice, quoiqu’elle trouvât excellentes les raisons de Romain, était très-effrayée d’un acte qui ne s’était jamais commis dans le pays : la rébellion contre une feuille de route et contre la gendarmerie. Elle essaya de le faire changer d’avis ; elle lui jura encore de l’attendre en priant pour son retour : Romain fut inébranlable.

Le lendemain, au moment où les autres jeunes gens se mettaient en route avec les gendarmes, Bérénice, les yeux fixés sur la chambre aux demoiselles, vit les morceaux de la feuille de route de Romain qui s’en allaient, portés par le vent, en tourbillonnant ; elle en compta onze. C’était donc à onze heures qu’elle devait se trouver à l’avalure de la porte d’Amont.