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tous ces passages tronqués, et le lecteur verra combien ils sont importants pour prononcer un jugement équitable sur les relations qui unissaient George Sand et Chopin.

Et maintenant nous pouvons tranquillement et définitivement aborder la période la plus heureuse des relations de George Sand et de Chopin, — leurs « commencements » en l’année 1838.

Au printemps de cette année, George Sand fit d’assez fréquents séjours à Paris, causés par son dernier procès avec M. Dudevant[1]. C’est précisément à cette époque que se rapportent les premiers chapitres de son roman avec Chopin, ces chapitres toujours si captivants pour les lecteurs et les acteurs, où tout est encore incertain, inconnu, im werden, comme disent les Allemands, où tout marche en avant, tout promet, tout effraye, tout agite, mais où rien encore ne chagrine ni ne désillusionne et, surtout où rien… n’ennuie par sa monotonie assommante.

C’est à cette époque que se rapporte aussi l’énigmatique épître inédite de George Sand à Mme Marliani, que voici :

Nohant, 23 mai 1838.

Chère belle, j’ai reçu vos bonnes lettres et je tarde à vous répondre à fond, parce que vous savez que le temps est variable dans la saison des amours.

On dit beaucoup de oui, de non, de si, de mais dans une semaine, et souvent on dit le matin : décidément ceci est intolérable, pour dire le soir : en vérité, c’est le bonheur suprême.

J’attends donc pour vous écrire tout de bon que mon baromètre marque quelque chose sinon de stable, du moins de certain pour un temps quelconque. Je n’ai pas le plus petit reproche à faire, mais ce n’est pas une raison pour être contente. Aujourd’hui, je ne vous écris qu’un billet pour vous dire que je vous aime et que j’ai besoin que vous m’écriviez, que vous pensiez à moi, que vous vous occupiez de moi. Cette idée me donne de la force et m’empêche de retomber dans mes exagérations de désespoir sombre, bête et spleenétique…

Mais il est à croire que cette incertitude ne dura pas longtemps. George Sand était trop experte en matière de sentiment

  1. Cf. George Sand, etc., t. II, p. 322, 457.