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de n’exécuter plutôt que ses propres compositions ; Liszt s’en serait vengé en ayant, entre chien et loup, si parfaitement imité le jeu de Chopin, que ce n’est que lorsqu’on alluma les bougies qu’on vit que ce n’était pas Chopin, comme l’avaient cru les auditeurs ensorcelés, mais bien Liszt en personne, assis au piano ; il aurait narquoisement dit alors : « Vous voyez, Liszt peut imiter Chopin, mais Chopin peut-il jouer à la Liszt ? » Mais, encore et toujours, lorsque plus tard on questionna là-dessus le grand pianiste hongrois, il déclara catégoriquement ne s’être jamais permis rien de pareil et que cette histoire était inventée. Le lecteur apprendra encore par ces Souvenirs comme dès lors — on ne sait pas trop si c’était en 1837 ou en 1841 — Pauline Viardot aurait étudié le rôle de Fidès[1], c’est-à-dire tantôt huit et tantôt douze ans avant la première représentation du Prophète, qui n’eut lieu que le 12 avril 1849, et il y lira enfin comment ces soirées musicales finissaient par de gais soupers, pendant lesquels on faisait le punch dans une grande coupe d’argent, etc., etc.

Eh bien, c’est justement cette « grande coupe d’argent » qui nous rendit le grand service d’apprendre la vérité et de dissiper définitivement tous les points des Souvenirs de Rollinat. Donc, voici ce que nous savons pertinemment. Lorsque Mme Maurice Sand, qui gouvernait en 1874 tout le ménage de Nohant, voire toute l’argenterie de la maison, demanda après la lecture de ces Souvenirs à Mme Sand : « Et où donc est-elle à présent, cette coupe d’argent ? » Mme Sand lui répondit en souriant : « Ma mignonne, elle n’a existé que dans l’imagination de Charles, il n’y en a pas, comme du reste il n’y a presque rien de vrai dans tout ce qu’il a écrit là. — Mais, bonne mère,

  1. Dans une lettre inédite de Mme Viardot à George Sand, datée du 6 décembre 1848, nous lisons : « En attendant je suis déjà en train de travailler au Prophète que le grand maître me fait connaître bouchée par bouchée. Toutes ces bouchées finiront par former un grand plat et un bon. C’est très simple, très noble, très dramatique et par conséquent très beau. Je suis très heureuse d’avoir une perspective aussi intéressante pour mon hiver. Il me faut du travail, beaucoup de travail…, etc. » Il est évident qu’au moment où elle écrivait cette lettre — en hiver 1848-1849 — Mme Viardot ne faisait que commencer l’étude de son rôle et de la partition du Prophète.