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et de dilettanti qui jetteront de hauts cris devant cette suprématie de Mozart au-dessus de Beethoven et de Chopin. Et pourtant, de nos jours aussi, Tchaïkowski mettait tout pareillement Mozart au-dessus de tous les compositeurs ; M. Saint-Saëns, et les critiques MM. Hanslick et Laroche[1] professaient le même culte, et nous doutons fort que ces quatre hommes puissent être soupçonnés de « manque d’entendement musical ». Mais ce qu’il faut surtout noter, c’est que Chopin lui-même plaçait l’auteur de Don Juan à cette même hauteur inaccessible, que la partition de cette œuvre était son Évangile musical et qu’il ne s’en séparait jamais, même dans ses voyages.

Faut-il en conclure que Chopin, aussi, « manquait de sens et de goût musical », qu’il était unmusikalish ? Il est trop évident que l’assertion de Niecks n’est que l’expression de son goût personnel et non un jugement bien fondé. Ajoutons que la prophétie de George Sand relative à l’instrumentation des œuvres de Chopin s’est accomplie de nos jours. En dehors de la Marche funèbre ou la Polonaise en la majeur, tant de fois instrumentées et exécutées à grand orchestre un peu partout, notre jeune et déjà si célèbre compositeur M. Al. Glasounow, il y a peu d’années, instrumenta et fit paraître sous le titre de Chopeniana une suite de morceaux de Chopin, « sans rien changer à la partition de piano ». Au moment où nous corrigeons ces pages, nous croyons encore entendre une autre suite, également intitulée la Chopeniana, que notre vénéré et si regretté maître Mili Balakirew avait instrumentée peu de mois avant sa mort. On peut donc affirmer que George Sand devait se connaître tant soit peu en fait de musique et que « l’exemple » cité par Mecks est au moins… mal choisi. Ne serait-il pas plus raisonnable de nous fier au jugement de Franz Liszt qui, semble-t-il, a voix au chapitre, et de redire, d’après ses mots

  1. Édouard Hanslick, célèbre critique viennois (n. 1825, m. 1904). Laroche, critique et compositeur russe (d’origine française), né à Saint-Pétersbourg en 1845, mort en 1904, ami de Tchaïkowski, auteur de Carmosine (sur le texte de Musset) et de quelques autres œuvres. Malheureusement il a trop tôt abandonné sa carrière de compositeur. Ses critiques sont connues par leur verve et leur esprit tout gaulois et très mordant.