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tant qu’il entre là-dessus en dispute ouverte avec Liszt, meilleur juge que lui, semble-t-il, en matières musicales ! C’est ainsi par exemple que Mecks ajoute en note à la page où il parle du « goût incertain » de Mme Sand : « Il y a dans les œuvres de George Sand bon nombre de passages poétiques à propos de musique, comme aussi par-ci, par-là des jugements très incisifs sur des matières d’esthétique générale, mais il n’y manque pas non plus de morceaux où son manque de savoir et son incapacité critique se voient manifestement. Témoin ce passage de l’Histoire de ma vie :

« Le génie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d’émotions qui ait existé. Il a fait parler à un seul instrument la langue de l’infini ; il a pu souvent résumer, en dix lignes qu’un enfant pourrait jouer, des poèmes d’une élévation immense, des drames d’une énergie sans égale. Il n’a jamais eu besoin de grands moyens matériels pour donner le mot de son génie. Il ne lui a fallu ni saxophones, ni ophicléides pour remplir l’âme de terreur ; ni orgues d’église, ni voix humaine pour la remplir de foi et d’enthousiasme. Il n’a pas été connu et il ne l’est pas encore de la foule. Il faut de grands progrès dans le goût et l’intelligence de l’art pour que ses œuvres deviennent populaires. Un jour viendra où l’on orchestrera sa musique sans rien changer à sa partition de piano, et où tout le monde saura que ce génie aussi vaste, aussi complet, aussi savant que celui des plus grands maîtres qu’il s’était assimilés, a gardé une individualité encore plus exquise que celle de Sébastien Bach, encore plus puissante que celle de Beethoven, encore plus dramatique que celle de Weber. Il est tous les trois ensemble, et il est encore lui-même, c’est-à-dire plus délié dans le goût, plus austère dans le grand, plus déchirant dans la douleur. Mozart seul lui est supérieur, parce que Mozart a en plus le calme de la santé, par conséquent la plénitude de la vie…[1]. »

Mecks prétend que ce passage suffit à faire reconnaître le manque d’entendement musical chez George Sand. Certes, chacun a son goût, et de nos jours on trouvera quantité de musiciens

    veut que je chante ce soir : Ebben, per mia memoria. — Ebbene, ça m’ennuie de chanter. Est-ce que je sais chanter, moi ?… »

  1. Histoire de ma vie, t. IV, p. 440-441.