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l’amour commençant de sa sœur Marie pour le jeune musicien modeste, pas riche et point titré, et cette même Marie Wodzinska (après laquelle soupirait aussi le poète Slowacki), malgré tous ses serments et ses sentiments, se plia à la volonté paternelle et, tout en aimant Chopin (!), épousa un homme titré. Quoique Chopin n’eût ni les courroux de Liszt ni ses révoltes contre les préjugés aristocratiques qui lui volèrent aussi la jeune fille de son choix[1], quoique Chopin fût porté à s’incliner devant ces préjugés de caste consacrés par les siècles, pourtant la blessure que ces gens à cœurs secs lui portèrent saignait et brûlait douloureusement au fond de ses entrailles. La sympathie d’une grande âme, libre, ardente, prête à l’aimer, venant à lui, dut d’emblée inonder de lumière, de chaleur et de passion inextinguible ce cœur qui n’avait encore rencontré ni un vrai amour, ni un cœur égal au sien[2].

George Sand possédait un véritable et profond sens musical, nous l’avons déjà noté, en passant, dans le chapitre sur Liszt. Revenons sur ce point, d’autant plus que nous sommes là-dessus en parfait désaccord avec Mecks, dont les arguments et les assertions nous paraissent très peu probants.

En parlant du conte fantastique le Contrebandier que George Sand écrivit « sur la fantaisie musicale de Liszt », nous avons cité le biographe de Liszt, Mme Lina Ramann, qui trouvait extrêmement « étonnant que, malgré son sens musical profond, George Sand n’ait pas inspiré Liszt », c’est-à-dire qu’il n’ait rien composé sur l’un de ses textes[3]. Nous avons dit alors même que cette assertion nous était très précieuse, venant de la part de Liszt et redite seulement par Mme Ramann, elle

  1. Caroline de Saint-Criq. Cf. notre volume II, p. 217.
  2. Si on lit attentivement tout ce que M. Ferdinand Hœsick raconte dans son excellent premier volume de la biographie de Chopin sur les relations entre Chopin et sa première « passion », la cantatrice Constance Gladkowska, on ne se rend que trop bien compte que ce fut le grand musicien qui aima avec toute la prodigalité d’un cœur novice, et que la jolie chanteuse de l’opéra de Varsovie ne le lui rendit que fort incomplètement, lui donnant ample matière à jalousies et à souffrances.
  3. Nous avons fait allusion au projet de Liszt de composer un opéra sur Consuelo, projet qui ne fut jamais réalisé. (Cf. notre volume II, p. 344.) On voit par les lettres inédites de Mme Pauline Viardot à Mme Sand que