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dénote la haute société, allant jusqu’au snobisme, amour de tout ce qui est élégant, poussé jusqu’à des extases devant quelque toilette bien faite et « bien portée » et jusqu’à la connaissance approfondie du cachet de chaque grand faiseur ; la passion des fleurs, des parfums, des porcelaines de Chine ou de Sèvres, des meubles de Boulle, des tentures claires, des soirées intimes et pimpantes dans quelque petit salon de grand monde, doucement éclairé, plutôt noyé dans la pénombre, où, en « petit comité », une élite de femmes adorables et d’hommes grandement titrés ou portant un grand nom historique écoute, religieusement attentive, le poète-musicien qui lui révèle, au piano, le secret de ses pensées ! Voilà les dehors, l’atmosphère où se plaisait Chopin.

Une délicatesse raffinée d’esprit et de sentiments, une douceur d’âme, la hauteur générale de tout l’être moral ; une certaine tendance à l’idéalisme, à la rêverie, et une fine moquerie pleine d’humour ; une tendre fidélité à ses amis, à sa famille, liée à un amour ardent et douloureux pour sa pauvre patrie perdue, aux amers regrets de son brillant passé ; le culte chevaleresque pour toute femme, et une passion illimitée de son art, de cette langue de son cœur, la musique, qui réunissait en elle et servait seule d’expression à tous ces divers éléments spirituels ; l’originalité et la personnalité incisive et exclusive d’un génie — dans ses œuvres à lui, et le goût marqué de tout ce qui est bien pondéré, adouci, jamais brutal, toujours noble et retenu, et même de tout ce qui est conventionnellement formel — dans les œuvres d’autrui, en peinture, en littérature et en musique. Voilà enfin Chopin moral, le Chopin intime et caché.

Si nous nous rappelons maintenant qu’au moment de la première rencontre de George Sand et de Chopin les idées socialisto-démocratiques avaient pris possession de l’esprit de la grande femme ; que dans ses paroles comme dans ses actions elle faisait constamment montre de ses sympathies pour les masses incultes, souffrantes et malheureuses, et de son adhésion à tout ce qui devait accélérer l’affranchissement du peuple, la procla-