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lui élever ses enfants et de le tirer de la misère à son insu. C’est plus difficile que nous ne pensions. Il a une fierté d’autant plus invincible qu’il ne l’avoue pas et donne à ses résistances toutes sortes de prétextes. Je ne sais pas si nous viendrons à bout de lui. Il est toujours le meilleur des hommes, et l’un des plus grands. Il a été voir Béranger à Tours et va revenir ensuite je ne sais pour combien de temps.

Il est très drôle, quand il raconte son apparition dans votre salon de la rue Laffitte. Il dit :

— J’étais tout crotté, tout honteux. Je me cachais dans un coin. Cette dame est venue à moi et m’a parlé avec une bonté incroyable. Elle était bien belle !

Alors je lui demande comment vous étiez vêtue, si vous êtes blonde ou brune, grande ou petite, etc. Il répond :

— Je ne sais rien. Je suis très timide ; je ne l’ai pas vue.

— Mais comment savez-vous si elle est belle ?

— Je ne sais pas ; elle avait un beau bouquet, et j’en ai conclu qu’elle devait être belle et aimable.

Voilà bien une raison philosophique ! qu’en dites-vous ?…

George.


À Madame d’Agoult, à Gênes.
Nohant. Mars 1838.

… Il est bien possible que j’aille vous rejoindre quelque jour en Italie. Cependant ce voyage, que j’avais arrangé pour le printemps prochain, me paraît moins certain maintenant quant à la date. Mon procès avec mes éditeurs, que je voudrais terminer auparavant, est porté au rôle pour le mois de juillet ou d’août. Si je suis forcée de m’en occuper, je ne pourrai passer les monts qu’en automne. Une fois en Italie, j’y veux rester au moins deux ans pour les études de Maurice, qui s’adonne définitivement à la peinture et qui aura besoin de séjourner à Rome…


Madame George Sand, chez Madame Marliani, au Consulat d’Espagne, rue Grange-Batelière.

Votre lettre m’a été bien douce, chère amie (puisque vous proscrivez le nom de madame, et vous avez raison). Je l’ai reçue au milieu d’une grande affliction. Reynaud vient de perdre sa femme. J’écris à Mme Marliani et je lui donne quelques détails sur le malheur de mon pauvre ami. Il a été vraiment beau et fort dans cette rude atteinte. Sa croyance, fondée sur la raison qui nous éclaire, est bonne à quelque