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Mais voici ce qui est curieux. Tous les critiques et biographes s’évertuent habituellement à dire que George Sand ne fut qu’une émule docile dans les mains du philosophe mystique[1]. Elle-même, pendant de longues années et à différentes reprises, ne se nomme pas autrement que « disciple docile » ou « l’écho » de Pierre Leroux, et nous voyons réellement que, d’une part, elle a pour lui une admiration sans bornes, elle l’admire comme penseur, elle accepte ses leçons, orales ou écrites, comme de vraies « révélations ». Ses idées deviennent les siennes, ne font qu’un avec ses propres croyances, ses propres sentiments et aspirations, et se manifestent dans une série de romans et d’écrits : Spiridion (sous certains rapports aussi les Sept Cordes de la Lyre), Consuelo, la Comtesse de Rudolstadt, Ziska, Procope le Grand, le Coup d’œil général sur Paris, le Meunier d’Angibault, le Péché de M. Antoine, Horace, le Compagnon du Tour de France et même Jeanne. Tous ces romans apparaissent comme la mise en œuvre du programme de Leroux : lutte contre les triples abus : abus de caste, de famille et de propriété ; prédication de la doctrine du progrès continu et de « la vie de l’homme dans l’humanité ».

Il faut pourtant noter, une fois de plus, que si George Sand se pénétra si bien de cette doctrine et se fit un « écho » aussi docile de Leroux, c’est que ces idées répondaient parfaitement à ses propres goûts, à ses aspirations, à ses croyances. Aucun critique, par exemple, n’avait jamais douté que Spiridion ne fût écrit par une seule main, et pourtant il fut écrit par George Sand et Leroux ; mais une collaboration pareille aurait tout gâté, elle aurait détruit l’homogénéité de l’œuvre, si le ton, la manière, le diapason général des deux auteurs ne fussent absolument pareils, si la romancière n’avait pas traversé auparavant des

  1. Encore dernièrement, M. Fidao, dans son très intéressant article Pierre Leroux et son œuvre (Revue des Deux Mondes, 15 mai 1906), y faisait allusion et disait en se basant sur les œuvres de Sainte-Beuve et de Dupont-White et sur une lettre de Mme Sand elle-même (que nous donnons plus bas) que Leroux étant destiné à être « pillé » et « dévalisé » par les autres, que Mme Sand elle-même « sut l’exploiter royalement ». Mme Sand reconnaissant elle-même la source de ses idées, il nous semble qu’il ne faudrait pas lui appliquer ces termes.