Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Panthéon de l’avenir, à côté des statues de Socrate, de Platon, de Pythagore et de Jésus, celle de Saint-Simon qui décréta en notre ère la sainteté de la matière et son égalité avec l’esprit devant Dieu. On ne doit pas s’étonner, non plus, qu’ayant emprunté cette partie de sa doctrine à Saint-Simon, Leroux se tourna avec un intérêt tout particulier vers les sectes antiques et médiévales qui professaient plus ou moins clairement la divinité du monde physique, la divinité des choses reconnues de par l’ascétisme chrétien comme assujetties au mal, au diable, ce qui amenait ces sectes, en guise de protestation symbolique contre les doctrines dualistes, à professer le « culte du diable » sous telle ou telle autre forme. C’est surtout les wiclefistes, les lollards et les anabaptistes qui attirèrent l’attention de Leroux, et plus que tous les autres, les taborites, — ces socialistes du moyen âge : parfaits chrétiens qui, d’une part, aspiraient à faire revivre le christianisme sous sa forme la plus pure, et qui, d’autre part, n’acquiescèrent point à la damnation spiritualiste contre toute la matière, mais voyaient au contraire la présence de Dieu partout, dans le matériel comme dans le spirituel. Ils refusaient de rendre le « pauvre Satan », injustement calomnié, responsable des péchés de la nature humaine. C’est ce qui fit que dans plusieurs groupes des taborites on se saluait non par le « Grüss Gott » habituel, mais bien par la formule devenue célèbre grâce au Consuelo de George Sand : « Que celui à qui on a fait tort te salue. » « Celui à qui on a fait tort » ou Satan sera salué et pardonné le jour où tout le mal de l’univers sera détruit, le règne de Dieu inauguré sur la terre et où tous les hommes, devenus frères, ne seront plus capables de se faire réciproquement du mal, — autrement dit, cette salutation équivaudrait à « que le règne de Dieu advienne ». Les taborites n’hésitaient pas à accélérer l’avènement prochain de ce règne par le feu et le glaive.

Le roman de George Sand que nous venons de nommer est aussi celui qui est le plus empreint des idées de Pierre Leroux. Nous tâcherons de le prouver lorsque nous en aborderons l’analyse, et celle de Spiridion, roman dont une partie fut même écrite par Leroux lui-même, — fait resté inconnu jusqu’à nos jours.