Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émigrer en Angleterre, avec toute sa famille et ses frères, il y passa plusieurs années, d’abord à Londres, puis à l’île de Jersey, souffrant de la misère la plus cruelle, mais ne perdant jamais courage, gardant toujours le même optimisme, malgré une série nouvelle de désillusions. (C’est ainsi, par exemple, que ce même J.-S. Mill, qui lui écrivait de loin des lettres louangeuses, fit, de près, montre de grande insensibilité et de la plus parfaite sécheresse britannique.) Leroux envisageait toutes ces misères avec un mépris tout philosophique ; il menait toujours de front ses travaux philosophiques et littéraires et ses inventions ; il faisait des conférences, il édita même pendant quelque temps le journal l’Espérance, grâce à l’aide généreuse de l’émigré russe Engelson qui fit sa connaissance à Jersey, se lia d’amitié avec lui et lui légua, en 1858, une certaine somme d’argent[1]. Enfin il y écrivit une brochure politico-économique, le Circulus, sur l’avantage à retirer des excréments humains, — théorie fort connue en Chine, que Leroux crut mettre en pratique en fondant à Jersey une fabrique de guano humain, d’encre et de cirage !!! Vers 1859, Leroux, au cours d’un petit voyage en France et en Suisse, fit à Genève une série de conférences et, en 1860, grâce à l’aide matérielle de ses ex-amis les saint-simoniens qui devinrent pour la plupart d’influents financiers ou de grands politiques, il put liquider ses affaires à Jersey et revenir en France. Il séjourna pendant quelque temps dans le Midi, à Grasse, puis revint à Paris, qu’il quitta de nouveau pendant le siège de 1870, et y étant définitivement revenu pendant la Commune, il y mourut en avril 1871.

Ayant fait connaissance, grâce à Sainte-Beuve et à Liszt,

  1. Engelson et sa femme, Mme Alexandra Engelson, furent d’abord des amis de Herzen, puis se brouillèrent complètement avec lui, grâce au caractère étrange et peu loyal d’Engelson, et surtout grâce à sa femme, être détraqué et étrange. Engelson avait assisté Herzen au moment de la mort tragique de sa mère et de son fils Nicolas ; il collabora au journal de Herzen à Londres, donna des leçons à ses deux enfants aînés, fut mainte fois secouru par le grand exilé russe, puis devint son ennemi et le calomnia d’une manière inimaginable. (Voir, à ce propos, les Œuvres complètes de Herzen, vol. IX, les chapitres Ombres russes et Oceano nox.) Leroux publia après la mort d’Engelson un article de lui traduit par sa femme.