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disons-le entre parenthèses, en ces tout derniers temps, éveiller de nouveau un intérêt assez vif en France). Et d’abord racontons en peu de mots la vie de Leroux aussi peu connue de nos jours que ses théories.

Né à Paris en 1798 de parents pauvres, Pierre Leroux fit ses études d’abord au lycée Charlemagne, puis au lycée de Rennes ; enfin il entra à l’École polytechnique, il paraît n’y pas avoir terminé ses études, sa pauvreté l’ayant forcé à trouver quelque gagne-pain. Il essaya tour à tour plusieurs métiers, il fut même tailleur de pierres, puis ouvrier typographe, plus tard prote, enfin gérant d’une typographie. Il ne devint, et ceci encore dans un but spécial, propriétaire d’une typographie que sur le tard de sa vie. Il se maria très jeune, perdit sa femme, se remaria, et devint ainsi père d’une double famille (il eut neuf enfants), se chargea en outre de ses frères, — qui eux aussi étaient toujours menacés par la misère et nombreux ; — (il fut un temps où Leroux dut subvenir à nourrir trente personnes)[1]. Et en même temps il s’adonnait constamment à différentes inventions compliquées. C’est ainsi par exemple qu’il travailla vers 1843-1844 à fabriquer un clavier à caractères d’imprimerie, surnommé le pianotype, qui devait faciliter le travail de prote. Il n’est que trop clair qu’il gaspillait son argent et son temps à ces inventions, car, à défaut de fortune, n’étant pas en état de louer un forgeron ou un serrurier, très souvent, au lieu d’écrire ses livres ou d’imprimer ceux d’autrui, il se faisait serrurier lui-même et maniait et martelait les parties métalliques de sa « machine ». Bien souvent aussi il devait avoir recours à l’aide pécuniaire de ses amis. Il y eut, dans sa vie, mainte invention pareille, mainte entreprise fantastique dont il s’engouait pour des mois et des mois ; toutes se terminaient par l’insuccès, par la faillite et la misère. Pourtant à cette époque il n’était déjà plus un obscur ouvrier, mais bien un écrivain conscient de sa valeur et de sa vocation. Dès 1824 un de ses condisciples du lycée l’invita à participer à la rédaction du Globe ; ce journal, fondé

  1. Lettre inédite à George Sand du 24 septembre 1854, datée de Jersey. Voir plus loin.