Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre, car dans aucun des romans de George Sand nous ne trouvons, exprimée d’une manière plus incisive, sa croyance en la liberté et l’irresponsabilité de la passion et à l’injustice qu’il y aurait à vouloir la punir. La manière d’agir si généreuse et noble de Jacques envers sa femme, qu’il aime, mais dont il ne se croit pas en droit de gâter la vie pour la seule raison qu’elle a cessé de l’aimer, stupéfiait les contemporains, comme quelque chose d’inouï et d’impossible. Les uns y virent aussitôt — et c’est juste — de la part de l’auteur une conception large et profonde des questions du sentiment, et sa tendance à démontrer la possibilité de résoudre les drames matrimoniaux sans scènes de jalousie, ni querelles, ni meurtre, ni aucun des moyens humiliants et cruels, si souvent en usage en pareil cas. D’autres, raillant ce suicide, — et c’est juste aussi — faisaient remarquer que si tous les maris bernés par leurs femmes, devaient aller se jeter dans un précipice des Alpes, ou dans une crevasse de glacier, et céder galamment la place à l’amant, ce serait certes là un moyen vraiment trop commode pour les femmes et les amants, mais assez peu d’accord avec la justice et l’équité.

Jacques a fait naître une foule d’imitations dans toutes les littératures de l’Europe. À qui la faute[1] ? Pauline Sax[2]. Comment faire[3] ? sont, cela est hors de doute, des enfants légitimes de Jacques. Quoi qu’il en soit, on n’a jamais attiré l’attention sur le fait que Jacques n’est pas un personnage aussi « inventé » que cela le paraît. George Sand n’avait-

  1. Roman d’Alex. Herzen, ayant fait époque en Russie, un des chefs-d’œuvre de la littérature russe.
  2. Célèbre nouvelle de Drouginine.
  3. Roman à thèse de Tchernichevsky, pendant de longues années considéré comme l’Évangile des libéraux russes par rapport aux questions de la morale conjugale.