Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sement de tous les non-initiés, il se mit tout à coup — afin, dit-il, de mieux faire comprendre l’équilibre européen, — à jongler avec son assiette. Ce soir-là, Musset était déguisé en gentille soubrette normande, — très maladroite de ses mains, — qui tantôt arrosait d’eau les convives en les servant, tantôt les poussait sans cérémonie, et, pour comble, se mit à table à côté du diplomate. Bref, ce furent des plaisanteries et des rires sans fin… Parfois toute la compagnie se rendait au théâtre, parfois les deux amants se promenaient sur les boulevards, ou bien l’on restait à la maison, et alors on lisait, on dessinait, on faisait de la musique et l’on causait amicalement d’art et de littérature. D’autres fois les deux amants travaillaient ensemble ou jouaient comme des enfants. En un mot, on eût dit l’idéal d’une union d’artistes[1].

Dans le courant de septembre, ennuyés du bruit de Paris et évidemment lassés de l’espèce de tutelle exercée par le très cher frère Paul, qui, on le voit, n’avait pas quitté le jeune couple — lassitude dont ce témoin importun ne se doutait point, ce qui explique pourquoi il ne comprit pas la raison qui les faisait s’envoler si vite de Paris, — Alfred de Musset et George Sand s’établirent d’abord à Fontainebleau, où ils passèrent quelque temps dans une entière solitude, faisant des promenades et des excursions dans la célèbre et admirable forêt.

Ce voyage est devenu historique, depuis que les deux

  1. Nous n’ajoutons foi qu’à ce que Paul de Musset dit de cette époque dans la Biographie, en laissant de côté le tableau qui en est fait dans Lui et Elle, où certains biographes et critiques ont pourtant puisé des détails pittoresques sur la vie que menaient alors Musset et George Sand. Dans le roman dont nous parlons, ces détails sont certes pleins de verve et de coloris et peignent bien la vie de bohème des deux poètes. Néanmoins, on ne doit pas oublier que c’est là une œuvre d’imagination et non d’histoire.