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de l’âme, abstraction faite du talent. Il m’en a témoigné le désir, vous n’aurez donc qu’un mot à lui dire de ma part… » Les gens disposés à voir en tout quelque chose de surnaturel, trouveront probablement dans ce refus de George Sand un mystérieux avertissement du sort. Ils se diront aussi sans doute que l’on ne peut éviter sa destinée, lorsqu’ils sauront que, malgré ce refus, George Sand et Musset firent toutefois connaissance dans le courant de l’été de la même année. Le directeur de la Revue des Deux-Mondes, nouvellement achetée par lui, donna aux Frères Provençaux un dîner à ses collaborateurs[1]. Paul de Musset, qui, dans la biographie de son frère, a cru sans doute que le mieux était de ne pas citer le nom de George Sand (nous devons croire que c’est là, selon lui, la haute école de la correction littéraire), nous dit qu’à ce diner, il y avait « beaucoup de convives parmi lesquels une seule femme ». Il va sans dire que cette femme était George Sand, accompagnée ce jour-là de son fidèle chevalier Gustave Planche[2]. « Alfred de Musset était son voisin de table. Elle l’engagea simplement et avec bonhomie à venir la voir. Il y alla deux ou trois fois, à huit jours d’intervalle, et puis il en prit habitude et n’en bougea plus, » ajoute P. de Musset[3]. Il paraît qu’une correspondance s’était établie entre eux, mais une correspondance toute cérémonieuse ; Musset commence ses

  1. Le récit souvent répété (entre autres par Brandès et bon nombre d’écrivains crédules russes), d’après lequel Buloz aurait fait faire à Musset la connaissance de George Sand dans un but purement pratique, espérant que des amours des deux poètes naîtraient des ouvrages précieux pour sa revue, ce récit est à ranger parmi les légendes, qui ne méritent pas la peine d’être réfutées.
  2. Jules Levallois, Souvenirs littéraires. Revue Bleue. 19 janvier 1895, Sainte-Beuve, assure par contre, que le dîner avait eu lieu chez Lointier et que Musset n’y avait pas assisté. V. Portraits contemporains, t. I, p. 508.
  3. Biographie d’Alfred de Musset, p. 119.