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et ses relations envers elle avaient pris cette nuance de pitié dédaigneusement condescendante, que l’on a pour les déséquilibrés. Et toutes les phrases, officiellement chagrines, dans le genre de « pauvre excellente femme », « j’ai perdu ma pauvre mère », ne peuvent détruire l’impression produite par l’ensemble de tout ce que George Sand dit des derniers jours et des dernières années de la vie de sa mère. Ces phrases ne sont que l’expression de ce sentiment de culpabilité que chacun de nous éprouve envers les défunts, alors qu’il est déjà trop tard pour réparer nos torts. George Sand était loin d’être coupable envers sa mère, bien au contraire, mais elle était peut-être tourmentée par la pensée de n’avoir eu dans les derniers temps que de la calme impartialité envers sa mère, et de ne l’avoir plus aimée passionnément et aveuglement.

Notons pourtant ici ce que dit George Sand de l’intérêt que Mme Dupin prenait à sa carrière littéraire :

« Ma renommée littéraire produisait sur elle les plus étranges alternatives de joie et de colère. Elle commençait par lire les critiques malveillantes de certains journaux et leurs insinuations perfides sur mes principes et sur mes mœurs. Persuadée aussitôt que tout cela était mérité, elle m’écrivait ou accourait chez moi pour m’accabler de reproches ; en m’envoyant ou m’apportant un ramassis d’injures qui, sans elle, ne fussent jamais arrivées jusqu’à moi. Je lui demandais alors si elle avait lu l’ouvrage incriminé de la sorte. Elle ne l’avait jamais lu avant de le condamner. Elle se mettait à le lire après avoir protesté qu’elle ne l’ouvrirait pas. Alors, tout aussitôt, elle s’engouait de mon œuvre avec l’aveuglement qu’une mère peut y mettre ; elle déclarait la chose sublime et les critiques infâmes ; et cela recommençait à chaque nouvel ouvrage.