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taires ont soutenu le vol de son génie bien haut dans les airs et n’ont point permis au malheur de l’abattre et de le perdre. Et Byron est bien pourtant le chantre du doute et du désenchantement personnel. Mais tandis que chez Musset il n’y a eu que des motifs personnels et point d’autres — Byron fut en même temps le poète de la liberté et de l’affranchissement général. C’est pourquoi ses malheurs ne lui firent sentir que plus profondément encore le néant et la petitesse des choses humaines, mais ne l’empêchèrent pas de mourir, non comme Musset, après des années d’inaction, de débilité et de caducité, d’une mort prématurée, mais dans toute l’efflorescence de ses forces et à l’apogée de sa gloire, dans le feu de la lutte pour conquérir la liberté d’un peuple qui n’était pas le sien !

La cause de la déchéance de Musset, c’est son individualisme. Ses riches dons personnels ne se sont pas déployés comme ils l’auraient pu, s’il avait eu dans sa vie une mission, un idéal plus larges et plus élevés et, dans l’art des horizons plus vastes. Mais c’est cet individualisme même qui servait d’aimant caché pour attirer à Musset tous ceux qui l’approchaient, amis et connaissances, hommes et femmes. Il y avait en lui un excès de vitalité, une sincérité, une franchise débordante, un constant besoin de se faire connaître « jusqu’au fin fond », de livrer ses pensées, ses sentiments, son âme. Le biographe-frère lui applique avec bonheur les paroles de Manzo, le biographe du Tasse[1] : « Ces êtres doués d’une sensibilité excessive versent involontairement les trésors de leur âme devant la première personne qui s’offre à eux. Animés du désir de plaire, ils confient leurs pensées et leur sentiments à quiconque

  1. Paul de Musset. Biographie d’Alf. de Musset, p. 340-341.