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et la bière, et je me sentirais soulagé. On endort bien un malade avec de l’opium, quoiqu’on sache que le sommeil lui doive être mortel. J’en agirais de même avec mon âme[1]. » Le premier travail avec lequel Musset entra dans la carrière littéraire est une traduction des Confessions of an English Opiam-eater, que Musset a intitulé : l’Anglais mangeur d’opium. La traduction est assez libre ; mais le choix du sujet montre encore une fois l’opiniâtre pensée qui dès lors poursuivait étrangement le jeune écrivain, la pensée de chercher un oubli artificiel dans n’importe quels narcotiques. Lindau, en nous assurant, lorsqu’il parle du retour d’Italie de Musset, que c’est notamment à partir de ce moment, c’est-à-dire de l’époque de sa rupture avec George Sand, qu’ont commencé les « écarts périodiques » de Musset, se met évidemment en contradiction avec tout le reste de son livre. Au commencement de son ouvrage (p. 26) il arrête avec raison l’attention du lecteur sur le sujet de la première œuvre de Musset, faisant remarquer que déjà, dès l’âge de dix-sept ans, apparaît chez lui l’idée fixe « de noyer artificiellement son chagrin dans l’alcool et les anesthésiques », pour oublier ne fût-ce que momentanément les déboires de la réalité. L’auteur étudie ensuite (p. 59) la mise à exécution de ce « programme d’anéantissement de soi-même, programme qui, dans la lettre à Foucher, se montre encore incertain », mais qui, dans sa poésie les Vœux stériles, se manifeste déjà avec une précision terrifiante ; plus loin (p. 70), il montre d’une manière frappante que les vers bien connus :

    Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse,
    Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

  1. « Œuvres posthumes, avec lettres inédites et Notice biographique par son frère. » T. X des Œuvres complètes de Musset, in-8o, 1866, Charpentier, p. 271.