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faire comprendre au public. Mais ceci demanderait toute une vie de musicien et de poète. Un peu plus explicite, un peu plus riche en paroles, Hoffmann faisait ce grand progrès et popularisait l’exquisité des impressions poétiques dans la peinture et dans la musique… »

Comme ces pages résument bien la vie intellectuelle si intense, si complète, si bien remplie, coulant à larges flots qu’on menait alors à Nohant ! Tout s’y reflète : exquises impressions musicales, compréhension réciproque de deux natures artistiques, causeries philosophiques, lectures de Hoffmann et de Spurzheim et même les idées si chères de tout temps à Liszt, ou plutôt la grande idée à laquelle il n’avait pas hésité à donner « toute » sa vie de musicien » : l’explication « en langue vulgaire » des œuvres musicales, autrement dit : la musique à programme, dont ses Poèmes symphoniques présentent de si beaux spécimens.

Et voici encore une page du journal de Piffoël, mystérieusement fantastique comme une scène de Hoffmann, divinement belle, comme… comme George Sand seule en écrivait.

« Ce soir-là, pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert, la princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse : elle était vêtue d’une robe pâle, un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. Elle marchait d’un pas mesuré qui semblait ne pas toucher le sable et décrivait un grand cercle coupé en deux par le rayon d’une lampe, autour de laquelle toutes les phalènes du jardin venaient danser des sarabandes délirantes. La lune se couchait derrière les grands tilleuls et dessinait dans l’air bleuâtre le spectre noir des sapins immobiles. Un calme profond régnait parmi les plantes, la brise était tombée, mourante, épuisée, sur