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note colère, presque à l’unisson de mon énergie. Mais il n’attaque pas la note haineuse. Moi, la haine me dévore, la haine de quoi ? Mon Dieu ne trouverais-je jamais personne qui vaille la peine d’être haï ! faites-moi cette grâce, je ne vous demanderai plus de me faire trouver celui qui mériterait d’être aimé.

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« … J’aime ces phrases entrecoupées qu’il jette sur le piano et qui restent un pied en l’air, dansant dans l’espace comme des follets boiteux. Les feuilles des tilleuls se chargent d’achever la mélodie, tout bas, avec un chuchotement mystérieux, comme si elles contaient l’une à l’autre le secret de la nature. C’est peut-être un travail de composition qu’il essaye par fragments sur le piano ; à côté de lui est sa pipe, son papier réglé et ses plumes. Chaque fois qu’il a tracé sa pensée sur le papier, il la confie à la voix de son instrument, et cette voix la révèle à la nature attentive et recueillie. J’aimerais mieux croire qu’il se promène dans la chambre sans composer, livré à des pensées de tumulte et d’incertitude. Il me semble qu’en passant devant son piano, il doit jeter ces phrases capricieuses à son insu en obéissant à son instinct de sentiment plutôt qu’à un travail d’intelligence.. Mais ces mélodies rapides et impétueuses me font l’effet du craquement d’un navire battu par la tempête, et je sens mes entrailles se déchirer au souvenir de ce que j’ai souffert quand je vivais dans l’orage.

Blanche Arabella, je parlais de toi hier avec Alphonse, dans l’allée aromatique sous la clarté des brillantes étoiles, au vent frais de minuit. Qu’y a-t-il de plus beau sur la terre, lui disais-je, qu’une femme très forte, un peu brisée ? Le lys blanc dont la tige flexible s’incline au souffle de la brise est plus beau que le lys jeune dont la corolle orgueilleuse boit sans pâlir les ardents rayons du jour.