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Le premier objet qui s’embarrasse dans mes jambes, c’est ce que l’aubergiste appelle la Jeune fille. C’est Puzzi[1] à califourchon sur le sac de nuit, et si changé, et grandi, la tête chargée de si longs cheveux bruns, la taille prise dans une blouse si féminine, que, ma foi ! je m’y perds ; et, ne reconnaissant plus le petit Hermann, je lui ôte mon chapeau en lui disant : Beau page, enseigne-moi où est Lara ?

Du fond d’une capote anglaise sort, à ce mot, la tête blonde d’Arabella ; tandis que je m’élance vers elle, Franz me saute au cou, Puzzi fait un cri de surprise ; nous formons un groupe inextricable d’embrassements, tandis que la fille d’auberge, stupéfaite de voir un garçon si crotté, et que jusque-là elle avait pris pour un jockey, embrasser une aussi belle dame qu’Arabella, laisse tomber sa chandelle, et va répandre dans la maison que le n° 13 est envahi par une troupe de gens mystérieux, indéfinissables, chevelus comme des sauvages, et où il n’est pas possible de reconnaître les hommes d’avec les femmes, les valets d’avec les maîtres. — Histrions ! dit gravement le chef de cuisine d’un air de mépris, et nous voilà stigmatisés, montrés au doigt, pris en horreur. Les dames anglaises que nous rencontrons dans les corridors, rabattent leurs voiles sur leurs visages pudibonds, et leurs majestueux époux se concertent pour nous demander pendant le souper une petite représentation de notre savoir-faire, moyennant une collecte raisonnable… »

Voilà bien un récit de voyage qui ne manque ni de gaîté ni de verve ! Le voyage commençait vraiment sous des auspices heureux, et tant qu’il dura ce fut un temps

  1. Élève de Liszt, Hermann Cohen, plus tard entré dans les ordres, — il fut carme déchaussé, — et connu sous le nom de Père Hermann.