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Musset se gendarme contre une remarque très juste de Taine, et s’écrie : « Je ne sais pourquoi M. Taine, dans une étude très belle sur le poète anglais Tennyson, a représenté Alfred de Musset rôdant le soir dans les plus laides rues de Paris. Rien n’est plus inexact : Musset détestait les cloaques et n’y passait jamais qu’en voiture…[1] » Puis, il consacre quelques lignes énergiques au fatras de souvenirs apocryphes et de contes bleus racontés sur Musset comme sur tous les grands hommes. Il n’y a pas de doute que les souvenirs et récits sur Musset pèchent probablement aussi souvent contre la vérité que tous les autres souvenirs. Pourtant, comment accorder cette affirmation absolue que Musset ne connût pas les bas-fonds, les tavernes, les bouges, avec ses propres descriptions, telles que nous en trouvons dans la Confession d’un enfant du siècle ou avec les paroles suivantes tirées d’une de ses œuvres inédites : « Parmi les coureurs de tavernes, il y en a de joyeux et de vermeils ; il y en a de pâles et de silencieux. Peut-on voir un spectacle plus pénible que celui d’un libertin qui souffre ? J’en ai vu dont le rire faisait frissonner[2]… » Tout cela n’est-il pas peint d’après nature ? Dans la vérité et le réalisme de ces descriptions, devons-nous encore ne voir que licence poétique et « pose », comme dans les Contes d’Espagne et d’Italie ? Et n’est-il pas très étrange de voir plusieurs des biographes de Musset s’évertuer à le représenter comme un fat de salon, toujours guindé, uniquement préoccupé d’observer les bienséances mondaines ? Quoique Musset ait eu le travers de tenir au dandysme, et quelque grands

  1. Note à la page 18 de la Notice biographique sur Alfred de Musset.
  2. Ces paroles se trouvent dans un fragment des œuvres posthumes donné par P. de Musset à la page 241 de la Biographie.