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« … Dès le premier jour, nous nous sommes appartenus par la pensée. Je t’ai ouvert mon âme. Je t’ai raconté ma vie comme si tu avais le droit de la savoir, comme si tu avais le pouvoir de la changer. Et tu l’as changée, en effet. D’où t’est venue cette puissance ? Nul autre homme n’avait exercé sur moi une influence morale ; mon esprit toujours libre et sauvage n’avait accepté aucune direction. J’étais restée moi, doutant de tout, n’admettant que ce qui ne venait de moi-même, haïssant toutes les erreurs. J’étais vierge par l’intelligence ; j’attendais qu’un homme de bien parût et m’enseignât. Tu es venu, et tu m’as enseignée, et cependant tu n’es pas l’homme de bien que j’avais rêvé. — Il me semble même parfois que tu es l’esprit du mal, tant je te vois un fond de cruauté froide et d’insigne tyrannie envers moi ; mais puisque tel que tu es, tu m’as persuadé ce que tu as voulu, puisque tu as entamé le rocher, puisque tu m’as attachée à tes convictions et liée à tes actes par une chaîne invincible, il faut que tu sois mon lot et mon bien depuis l’éternité et pour l’éternité. »

« … Mon plus doux rêve, lorsque je m’abandonne à l’espérance trompeuse de vivre près de toi, consiste à imaginer les soins que je rendrais à ta vieillesse débile… Voilà ce que je caresse comme dédommagement d’une carrière de fatigue sans utilité, de soucis sans enthousiasme, que j’ai subie longtemps, que je subirai longtemps encore, et peut-être toujours. Que Dieu m’exauce ! : Qu’il entende le vœu d’un

    le 10 avril.) « Je suis éreintée de travail… » (à Scipion du Roure le 13 avril). « Je me suis embarquée à fournir du Mauprat à Buloz, au jour le jour, croyant que je finirais où je voudrais et que je ferais cela par-dessous la jambe. Mais le sujet m’a emportée loin et cette besogne m’a ennuyée, comme tout ce qui traîne en longueur. De sorte qu’au dernier moment de chaque quinzaine, depuis un mois et demi, me voilà suant sur une besogne qui m’embête, que je fais en rechignant. Je n’ai pas même le temps de dormir et je suis sur les dents !… » (À Mme d’Agoult, le 21 avril 1837.)