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C’est vers cette époque que Liszt fit la connaissance des Saint-Simoniens. D’abord il fut attiré chez eux simplement par curiosité, par désir d’apprendre et de savoir ; mais il fut bientôt tellement entraîné par leurs idées qu’il pensa sérieusement à se faire membre de leur communauté. À cette époque les doctrines extrêmes et monstrueuses du saint-simonisme ne s’étaient pas encore manifestées. Enfantin n’avait pas encore lancé ses célèbres proclamations ; aussi Liszt put-il librement prendre connaissance des doctrines de Saint-Simon, dans leur essence première. Il serait difficile d’inventer quelque chose qui fût plus du goût de Liszt que les deux principes fondamentaux de cette doctrine : 1° l’application dans la vie du principe essentiel du christianisme, l’amour du prochain ; 2° la manière d’envisager l’art, et la position que, d’après le saint-simonisme, l’artiste avait à occuper par rapport à la religion et au perfectionnement de l’humanité[1].

Les vues religieuses et artistiques des Saint-Simoniens faisaient vibrer les croyances et les sentiments les plus profonds de Liszt, aussi comprend-on facilement l’enthousiasme avec lequel il accepta le credo de cette foi nouvelle et la pro-

  1. Comme on le sait, les Saint-Simoniens formulaient ainsi leur doctrine : toute réforme sociale doit avoir pour base « le développement physique, moral et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », car la société doit reposer, non sur des principes d’inégalité et sur des privilèges établis en faveur d’un sexe contre l’autre, ni sur la prépondérance de certaines classes, et de certaines conditions sociales sur les autres, mais sur le principe du travail général et obligatoire. Dans cette nouvelle société, l’aristocratie sera représentée par ceux qui suivent l’une des trois voies conduisant l’humanité vers l’idéal : les artistes, les savants, les industriels ; de là, l’aristocratie de l’esprit ; de là aussi, la célèbre formule : « à chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres. » La propriété, l’hérédité, l’esclavage de la femme seront abolis ; on fondera des associations ouvrières pour réunir les efforts communs pour le bien général ; enfin, on reconnaîtra la légitimité des jouissances physiques à l’égal de celles de l’esprit, et on adorera la beauté à l’égal du génie, car tous les deux émanent de Dieu.