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parce qu’il ne peut, pour cause de pauvreté et de privations, servir l’art avec piété. Il voudrait, tout modeste qu’il fût, croire et espérer qu’il ferait quelque chose de bon… « Mais si les heures sont comptées, si un créancier attend à la porte, si un enfant qui s’est endormi sans souper le rappelle au sentiment de sa misère et à la nécessité d’avoir fini avant le jour, je t’assure que, si petit que soit son talent, il a un grand sacrifice à faire et une grande humiliation à subir vis-à-vis de lui-même. Il regarde les autres travailler lentement, avec réflexion, avec amour ; il les voit relire attentivement leurs pages, les corriger, les polir minutieusement, y semer après coup mille pierres précieuses, en ôter le moindre grain de poussière, et les conserver afin de les revoir encore et de surpasser la perfection même. Quant à lui, malheureux, il a fait, à grands coups de bêche et de truelle, un ouvrage grossier, informe, énergique quelquefois, mais toujours incomplet, hâté et fiévreux : l’encre n’a pas séché sur le papier qu’il faut déjà livrer le manuscrit sans le revoir, sans y corriger une faute !

« … Ces misères te font sourire et te semblent puériles… Il y a quelque chose de vraiment noble et saint dans ce dévouement de l’artiste à son art, qui consiste à bien faire au prix de sa fortune, de sa gloire et de sa vie. La conviction, c’est toujours une vertu… L’artisan expédie sa besogne pour augmenter ses produits : l’artiste pâlit dix ans, au fond d’un grenier, sur une œuvre qui aurait fait sa fortune, mais qu’il ne livrera pas, tant qu’elle ne sera pas terminée selon sa conscience. Qu’importe à M. Ingres d’être riche ou célèbre ! il n’y a pour lui qu’un suffrage dans le monde, celui de Raphaël, dont l’ombre est toujours debout derrière lui : Ô saint homme !… »

Tels sont, selon elle, tous les vrais artistes, Paganini,