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de cette foule médiocre qui suit si facilement les meneurs et les beaux parleurs tels que Michel de Bourges ; elle était en outre effrayée par la prédication de doctrines violentes et révolutionnaires et de bouleversements achetés au prix du sang ; enfin, rebutée par la théorie du nivellement universel et de l’inutilité des arts et des artistes, elle était encore révoltée par les discours ascétiques et fanatiques de ce Savonarole révolutionnaire. Voilà pourquoi, d’un côté nous pouvons lire les épithètes les plus flatteuses, l’expression de son adoration devant le maître, et d’un autre côté des pages d’une protestation humble, il est vrai, et selon l’auteur trop audacieuse, mais néanmoins de protestation contre la doctrine.

La première partie de la Lettre à Éverard commence par l’expression de la reconnaissance éprouvée par le voyageur de ce que le grand homme, quoique occupé par des intérêts très sérieux et appartenant à l’humanité, avait daigné écrire à son nouvel ami immédiatement après leur entrevue. Déjà au commencement de sa lettre, George Sand place Michel sur un piédestal, mais exprime des idées qui sont loin d’être démocratiques : « Quelle mission que la tienne, c’est un métier de gardeur de pourceaux, c’est Apollon chez Admète. Ce qu’il y a de pis pour toi, c’est qu’au milieu de tes troupeaux, au fond de tes étables, tu te souviens de ta divinité, et quand tu vois passer un pauvre oiseau, tu envies son essor et tu regrettes les cieux. Que ne puis-je t’emmener avec moi sur l’aile des vents inconstants, te faire respirer le grand air des solitudes, et t’apprendre le secret des poètes et des Bohémiens !… Te voilà employé à de vils travaux, cloué sur ta croix, enchaîné au misérable bagne des ambitions humaines. Va donc, et que celui qui t’a donné la force et la douleur