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Sainte-Beuve qui m’influençait encore un peu à cette époque, par ses adroites railleries et ses raisonnables avertissements, regardait les choses positives en amateur et en critique. La critique dans sa bouche avait de grandes séductions pour la partie la plus raisonneuse et la plus tranquille de l’esprit. Il raillait agréablement cette fusion subite qui s’opérait entre les esprits les plus divers venus de tous les points de l’horizon, et qui se mêlaient, disait-il, comme tous les cercles du Dante écrasés subitement en un seul.

« Un dîner où Liszt avait réuni M. Lamennais, M. Ballanche, le chanteur Nourrit et moi, lui paraissait la chose la plus fantastique qui se pût imaginer. Il me demandait ce qui avait pu être dit entre ces cinq personnes. Je lui répondais que je n’en savais rien, que M. Lamennais avait dû causer avec M. Ballanche, Liszt avec Nourrit, et moi avec le chat de la maison. »

Par cette plaisanterie charmante, George Sand évitait de faire une réponse directe à la question de Sainte-Beuve, ne voulant pas avouer, semble-t-il, que, contrairement à ses habitudes, à ce moment elle prenait une part active aux polémiques et aux conversations. Selon toute probabilité, Michel, cette fois comme toujours, voulut profiter de l’occasion pour l’endoctriner ; et quant à elle, non seulement elle l’écoutait, mais elle lui répliquait. Il est de fait que la nouvelle connaissance de Michel était loin d’être aussitôt devenue pour lui une élève docile. Il est vrai qu’elle s’était d’emblée sentie pénétrée d’un profond respect tout filial et d’une admiration de disciple envers la personne de ce démagogue de grand talent. Quand il tomba malade, elle alla le voir tous les jours, insista pour qu’on lui envoyât un docteur, le soigna comme une sœur de