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« Je regrette pour toi les beaux jours que nous aurions passés avec lui, Bidault, Girerd, Lasnier, etc. J’ai dîné l’autre jour avec Lamennais, Barrot, Ballanche, Nourrit, etc., chez Liszt. Je déjeune lundi chez Michel avec Lamennais. Cette fusion de principes entre des hommes naguère si opposés et si divers de professions et d’intelligence, est un fait curieux et qui ne se représentera sans doute plus. Dans quelques jours nous serons tous divisés. Chacun retournera chez soi, et je m’en vais en Suisse. »

Dans l’Histoire de ma Vie nous trouvons des pages qui nous dépeignent ces mêmes réunions de personnes, en apparence si disparates. George Sand y confirme que c’était précisément Michel qui l’avait intéressée aux différents partis politiques, alors que l’intérêt qu’elle portait aux questions sociales était né depuis longtemps. « J’avais passé le mois précédent (c’est-à-dire avril) à lire Everard et à lui écrire. Je l’avais revu dans cet intervalle, je l’avais pressé de questions et, pour mieux mettre à profit le peu de temps que nous avions, je n’avais plus rien discuté. J’avais tâché de construire en moi l’édifice de sa croyance, afin de voir si je pouvais me l’assimiler avec fruit. Convertie au sentiment républicain et aux idées nouvelles, on sait maintenant du reste que je l’étais d’avance. J’avais gagné à entendre cet homme véritablement inspiré en certains moments, de ressentir de vives émotions, que la politique ne m’avait jamais semblé pouvoir me donner. J’avais toujours pensé froidement aux choses de fait ; j’avais regardé couler autour de moi, comme un fleuve lourd et trouble, les mille accidents de l’histoire générale contemporaine, et j’avais dit : Je ne boirai pas cette eau. Il est probable que j’eusse continué à ne pas vouloir mêler ma vie intérieure à l’agitation de ces flots amers.