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misanthropie et du pessimisme qui l’avaient envahie, il fut en même temps un obstacle dans la voie de son perfectionnement, ne lui permit pas alors de se retrouver elle-même et arrêta un moment son évolution morale qui avait commencé en 1832. Au mois de juin de 1833, quelques mois après l’orage qui l’avait brisée, elle écrivait à Sainte-Beuve dans la lettre dont nous avons reproduit le commencement à propos de Mérimée, et après le passage où nous nous sommes arrêté : « Cette malheureuse et ridicule campagne m’a fait faire un grand pas vers l’avenir de sérénité et de détachement que je me promets en mes bons jours. J’ai senti que l’amour ne me convenait pas plus désormais que des roses sur un front de soixante ans, et depuis trois mois — les trois premiers mois de ma vie assurément — je n’en ai pas senti la plus légère tentation. J’en suis donc là. J’espère, je me repose, j’écris, j’aime mes enfants, et je souffre peu. Je marche vers l’idée Trenmor sans trop divaguer. »

Ensuite elle lui explique la différence qu’il y a entre son influence à lui sur elle et celle de Planche, et le supplie de ne pas l’abandonner au point de bifurcation où elle se trouve : « Aidez-moi à retrouver ma route, car je flotte incertaine encore souvent, et je me demande si je ne me suis pas mise dans une fausse voie… Ô mes amis, un peu d’aide, un peu de pitié, je suis dans un passage dangereux, et quoique j’avance, je me heurte encore souvent. »

Mais quelques semaines à peine après ces lignes, la même plume qui les avait tracées et qui avait écrit qu’elle marchait vers l’idée Trenmor, sous-entendant par là l’idéal de servir l’humanité par le sacrifice de soi-même, cette plume, disons-nous, déclarait à Sainte-Beuve qu’elle aimait Musset et qu’elle avait blasphémé Dieu et la nature en écri-