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approbation rendirent plus d’une fois d’énormes services à George Sand dans la période de ses hésitations, de ses recherches orageuses de la vérité, de ses chutes et de ses entraînements. Sainte-Beuve se distinguait par une connaissance profonde de la nature humaine, même de toutes ses bizarreries et de ses égarements ; aussi George Sand appréciait-elle beaucoup cette connaissance, et mettait-elle à nu devant lui, sans aucune appréhension, ses plaies et ses blessures. Dans une des premières lettres écrite en avril 1833, en réponse à la proposition de lui faire faire la connaissance de Jouffroy, elle refuse, donnant pour raison que Jouffroy était une nature par trop vertueuse et que ce n’était pas un homme avec qui elle pût s’entendre en aucun cas, et là-dessus, elle fait une caractéristique fort pittoresque de Jouffroy, de Sainte-Beuve et d’elle-même :

« Je dis donc que M. Jouffroy doit être bon, candide, inexpérimenté pour un certain ordre d’idées où j’ai vécu et creusé, où vous avez creusé aussi, quoique beaucoup moins avant que moi. Par exemple, je me suis dit : « Est-ce qu’il ne serait pas permis de manger de la chair humaine ? » Vous vous êtes dit : « Il y a peut-être des gens qui se demandent si l’on peut manger de la chair humaine. « Et M. Jouffroy se dit : « L’idée n’est jamais venue à aucun homme de manger de la chair humaine. » Pourtant il y a des peuplades entières qui en mangent et qui n’en sont peut-être pas plus mal avec Dieu pour cela. Moi, je ne m’estime pas, car après m’être adressé de semblables questions, je ne les ai pas résolues et j’en suis restée là ; M. Jouffroy n’ayant pas appris que ces questions existent, n’a pas grand mérite à les nier ; mais vous qui, ayant songé à tout et peut-être goûté à des choses immondes comme font les chimistes, avez déclaré que la chair humaine