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romans de George Sand, en fut charmé, comme il le fut, du reste, de tous les contes vénitiens ; il y appréciait surtout les types de jeunes filles, « fortes dans leur pureté et leur candeur ». Mais, malgré toute notre admiration pour le grand écrivain, nous ne pouvons faire le sacrifice de notre opinion et placer l’Uscoque au nombre des « œuvres choisies » de George Sand, qui, il faut l’espérer, paraîtront un jour comme celles de Voltaire, de Rousseau et d’autres grands écrivains.

C’est dans ce recueil que devrait, par contre, entrer l’Orco, histoire mystérieuse que la belle Beppa raconte à ses amis pendant une soirée tiède et orageuse. C’est une histoire triste et étrange où, « comme dans un songe, tout semble invraisemblable, à l’exception du sentiment qui l’a fait naître[1] ». Tout dans ce roman est fantastique et féerique ; mais le sentiment dont il est pénétré, sentiment d’amère indignation contre la domination autrichienne, la douleur de voir la décadence, l’humiliation et la soumission servile des Vénitiens, le regret cuisant de l’ancienne puissance de Venise, — la belle endormie, — voilà ce qui se fait sentir à chaque ligne de ce conte. Tout le récit est maintenu dans ce vague et mystérieux coloris qui ne se dément nulle part et qui ne permet pas au lecteur de définir qui fut cette inconnue mystérieuse périssant dans les flots en voulant faire périr avec elle le jeune officier autrichien Franz Lichtenstein. Était-ce bien cette Vénitienne, « la plus belle de nos amies », comme l’appelle au commencement Beppa, ou est-ce la personnification de Venise, périssant, parce qu’elle avait lié amitié avec son ennemi, ou est-ce enfin tout simplement « l’Orco, le Trilby

  1. Léon Tolstoï, Anna Karenine.