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nous avons tous une partie de nous-même en jeu dans nos œuvres, et nous tenons souvent autant à nos défauts qu’à nos qualités ; mais un lecteur éclairé voit mieux que nous, quand nous rendons bien ou mal nos idées les plus personnelles, et nous empêche de donner une mauvaise forme à nos sentiments. Je fais du reste fort peu de cas de ce que je vous envoie. Ce n’est ni un roman, ni un conte, c’est, je le crains, un pastiche d’Hoffmann et de moi. J’ai voulu m’égayer l’esprit, mais je ne sais si j’égayerai le public. Je crois que l’ouvrage est beaucoup trop étendu pour la valeur du sujet, qui est frivole. J’en avais d’abord fait une nouvelle ; le besoin d’argent et je ne sais quelles dispositions facétieuses de mon esprit m’ont fait barbouiller beaucoup plus de papier qu’il n’aurait fallu. Prenez toutes ces choses en considération, et, si vous trouvez le livre pitoyable, ne me découragez pas trop ».

Et le 21 novembre elle écrit encore à Sainte-Beuve : « Non, mon ami, vos critiques ne m’ont pas fâchée contre vous, mais bien contre moi qui les mérite… j’ai retranché toute la partie champêtre, et j’ai abordé tout de suite la Cavalcanti (l’héroïne du roman, on s’en souvient) ; — de cette manière, le conte se passe tout entier dans ce monde de fantaisie où je l’avais conduit si maladroitement. Vous avez raison d’aimer mieux les choses complètement réelles, moi, j’aime mieux les fantastiques ; mais je sais que j’ai tort ; aussi n’en ferais-je que peu, de temps en temps et pour m’amuser. J’aurais bien fait, dans mes intérêts, de publier, après Lélia, un roman plus rapproché du genre de Walter Scott, mais cette Quintilia était avancée dans mon portefeuille, et le besoin d’argent ne m’a pas permis de l’y garder plus longtemps. La même raison m’empêche de changer la manière générale du conte ; pour