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paradis perdu, le seul bonheur de sa vie ; — avec lui — tout ; sans lui — rien ! C’est Musset maintenant qui refuse de la voir. Elle ne peut s’en consoler ; son désespoir n’a pas de bornes ; épuisée, malade, jour et nuit sans repos, elle ressemble à un spectre ; à son tour, elle est folle d’amour, elle le supplie de lui accorder une entrevue, de lui rendre son ancien bonheur[1]. Ne sachant comment prouver sa sincérité, elle coupa ses admirables cheveux que Musset avait tant aimés, et les lui envoya. Lorsque Musset, en ouvrant le paquet, vit coupées ces lourdes boucles noires qu’il avait si souvent baisées, il fondit en larmes et… le 14 janvier. George Sand ne se refuse pas le triomphe d’écrire à Tattet : « Alfred est redevenu mon amant. »

Musset, on le voit, s’était abusé sur lui-même, en assurant que tout était fini chez lui : le vieil amour couvait toujours en son cœur.

Mais ce fut là le dernier et le plus affreux accès de leur maladie. Toutes les scènes orageuses qui se passèrent entre eux, les folles caresses et les épouvantables querelles précédentes ne sont rien en comparaison de ce qui se produisit dans le courant de ce mois de janvier 1835. Tous deux, n’en pouvaient plus de ces humiliations perpétuelles, de ces réconciliations, de ces vains efforts pour s’aimer, « saintement », de l’impuissance de croire mutuellement l’un en l’autre et de vivre dans l’union de leurs âmes. De leur amour il ne leur restait que la passion. Les amis d’autrefois

  1. Pendant toute cette période, George Sand tint une sorte de journal, dans lequel elle s’adresse parfois directement à Musset. (Nous avons eu occasion de le lire.) Ces feuillets ne lui furent remis qu’après leur rupture définitive. Ce sont des pages merveilleuses comme style, merveilleuses de passion et de sincérité. Il en existe plusieurs copies dans des archives privées. Nous y reviendrons plus loin.