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Musset se sont trop évertués à représenter Pagello comme un illettré ; il a écrit quantité de vers et de chansons qui sont chantées jusqu’aujourd’hui par les pêcheurs de sa poétique patrie.

Et cependant Musset, durant le temps que prit son retour à Paris, écrivait à Venise à chaque relais, et ses lettres montrent qu’il connaissait la valeur de celle qu’il abandonnait. Il écrit « qu’il a bien mérité de la perdre, pour ne pas avoir su l’apprécier quand il la possédait, et pour l’avoir fait beaucoup souffrir. Il pleure la nuit dans ses chambres d’auberge, et il est néanmoins presque heureux, presque joyeux, parce qu’il savoure les voluptés du sacrifice. Il l’a laissée aux mains d’un homme de cœur qui saura lui donner le bonheur, et il est reconnaissant à ce brave garçon ; il l’aime, il ne peut retenir ses larmes en pensant à lui. Elle a beau ne plus être pour l’absent qu’un frère chéri, elle restera toujours l’unique amie…[1] ».

De son côté George Sand écrivait déjà à Musset le 3 avril : « Ne t’inquiète pas de moi. Je suis forte comme un cheval, mais ne me dis pas d’être gaie et tranquille. Cela ne m’arrivera pas de sitôt… Ah ! qui te soignera, et qui soignerais-je ? Qui aura besoin de moi, et de qui voudrais-je prendre soin désormais ? Comment me passerais-je du bien et du mal que tu me faisais ?… Je ne te dis rien de la part de Pagello, sinon qu’il te pleure presque autant que moi. » Puis le 15 avril elle lui écrit : « Ne crois pas, ne crois pas, Alfred, que je puis être heureuse avec la pensée d’avoir perdu ton cœur. Que j’aie été ta maîtresse ou ta mère, peu importe ; que je t’aie inspiré

  1. Arvède Barine, p. 68.