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d’ignorer quelle fut la première de ses œuvres qui fut traduite et l’époque à laquelle elle parut ; mais l’impression qu’elle produisit ne dut en être que plus vive. Je crois que tout le monde fut, comme moi, encore adolescent alors, frappé de cette chaste et haute pureté des types, de l’idéal et de la grâce modeste, du ton grave et réservé de la narration… J’avais à peu près seize ans si je m’en souviens bien, lorsque je lus pour la première fois sa nouvelle l’Uscoque, une de ses plus charmantes premières œuvres. Je me souviens d’avoir passé toute une nuit enfiévrée à la suite de cette lecture. Je crois ne pas me tromper en affirmant que George Sand, à en juger du moins d’après mes propres impressions, avait pris incontestablement chez nous, dès le début, la première place dans les rangs de la pléiade des grands écrivains dont la gloire et la célébrité remplissaient tout à coup toute l’Europe… Tout ce que je dis ici n’est pas une appréciation critique ; j’évoque tout simplement le souvenir des goûts de la grande masse des lecteurs russes de cette époque, l’impression spontanée qu’ils ressentaient. L’essentiel, c’est que les lecteurs surent tirer des romans mêmes tout ce dont on cherchait à nous préserver avec tant de soin. La grande masse des lecteurs savait, du moins chez nous, vers le milieu des années 40, que George Sand était un des champions les plus éclatants, les plus inflexibles, les plus parfaits de cette catégorie d’écrivains occidentaux qui, dès leur apparition, avaient commencé par nier toutes les « conquêtes réelles » qu’avait amenées finalement la sanglante Révolution française, ou, pour parler plus exactement, la révolution européenne de la fin du xviiie siècle. Une parole nouvelle s’était fait brusquement entendre, de nouveaux espoirs avaient surgi ; certains proclamaient à