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exemple. En revanche, on prit plus tard, pour ne plus se tromper, le parti de tout interdire en bloc, même les guide-ânes. Les romans furent néanmoins toujours autorisés, et c’est dans ce domaine, et précisément en ce qui concerne George Sand, que les cerbères manquèrent leur coup… Que s’ensuivit-il ? Tout ce qui pénétra alors en Russie sous la forme de roman rendait, non seulement les mêmes services à la cause, mais peut-être de la façon la plus dangereuse, du moins au point de vue de l’époque, car il est très probable que les gens désireux de lire Louis Reybaud[1] n’ont pas été nombreux, tandis que les lecteurs de George Sand se comptaient par milliers[2]. Nous devons encore noter ici que, en dépit de tous les Magnitsky et les Liprandi, tout mouvement intellectuel en Europe se répercutait immédiatement chez nous depuis le siècle passé et se communiquait, sans parler des couches cultivées supérieures de la société, à une foule nombreuse que cette chose intéressait et faisait réfléchir. Cela ne manqua pas de se renouveler lors du mouvement qui se fit en Europe vers 1830. On apprit chez nous, dès le début, l’immense évolution qui s’opérait dans les littératures européennes. On connaissait déjà de nom bien des nouveaux orateurs, historiens, tribuns et professeurs. Et l’on savait déjà, par bribes, il est vrai, à quoi visait cette évolution qui se montrait surtout violente dans le domaine de l’art, dans le roman et notamment chez George Sand… Ses œuvres traduites en russe, parurent, pour la première fois, vers l’an 1835. Je regrette

  1. Allusion à une poésie de Davydow, citée plus haut par Dostoïéwsky, où Davydow se moque de nos « quasi libéraux lisant Reybaud ».
  2. Les romans de George Sand jouaient donc exactement chez nous le même rôle qu’en Allemagne. Voir ce que dit là-dessus Julian Schmidt, p. 546 du tome II de son Histoire de la littérature française depuis 1789.