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leur empreinte Dmitry Roudine et Horace, nous nous trouvons en face d’un seul et même personnage : un seul et même type de noble phraseur entraînant les autres, et entraîné lui-même par sa chaleur factice et ses discours enflammés, mais incapable de toute action réelle, de tout sentiment absolu, un enthousiaste à froid, en réalité inférieur à des hommes moins brillants que lui, mais sachant vivre d’une vie pleine, cœurs simples, aimant sans arrière-pensée leur prochain et les idées auxquelles ils se sont complètement dévoués, en un mot, des hommes dont la volonté, l’esprit et le sentiment ne se contredisent pas les uns les autres. Et si Dmitry Roudine, à force de pérorer, en arrive à prendre part aux barricades et y meurt en 1848, tandis qu’Horace évite sagement toute participation à l’affaire de Saint-Merry en 1832 ; si Roudine est en général beaucoup plus sympathique, plus désintéressé et plus à plaindre que son prototype, il faut en chercher la cause précisément dans les traits de caractère inhérents à la nationalité et à la caste que nous avons déjà eu l’occasion de mentionner et qui se trouvent dépeints avec justesse et vigueur par George Sand et Tourguéniew. Roudine appartient à la noblesse russe, c’est un dilettante de la pensée, un homme indépendant, libre, grâce à sa position et à sa fortune ; c’est en même temps une nature éminemment russe, slave, un peu incohérente et large. Horace, au contraire, est un petit bourgeois français, un homme pratique, aspirant à se faire une position et si, au début, il est dans l’erreur, entraîné qu’il est par ses idées élevées, il sait parfaitement, avec le temps, en tirer parti, en les prêchant dans les buts les plus utiles.

Tourguéniew avait-il conscience de ce reflet du caractère d’Horace sur une de ses meilleures œuvres, ou bien,