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peu de durée de tout ce qui est terrestre, l’impuissance de la science à soulever les voiles qui enveloppent notre vie, l’inconstance des sentiments humains, l’imperfection de la création et de notre âme, les étroites limites de nos sentiments et de nos connaissances[1], la cruauté de la nature, le néant des recherches de l’idéal absolu que poursuivent les âmes élevées, leurs aspirations vers la foi absolue, l’amour absolu, le savoir absolu, le bien, la vérité suprêmes, voilà à quoi pense Lélia, de quoi elle s’entretient avec Trenmor, voilà les causes de sa déception, de son renoncement à la vie. Avant de mourir, dans le délire de l’agonie, s’identifiant avec tous ceux qui ont lutté, dès le début des siècles, qui se sont élancés vers la vérité et la lumière, qui ont succombé dans la lutte, Lélia s’écrie : « Depuis dix mille ans j’ai crié dans l’infini : « Vérité ! Vérité ! ». Depuis dix mille ans, l’infini me répond : « Désir ! Désir ! ».

Pour ne pas encourir les reproches des lecteurs qui ne connaissent le roman que d’après la seconde version reproduite dans toutes les éditions ultérieures des œuvres de George Sand, nous avons exposé le sujet de Lélia, tel qu’il se présente dans la seconde édition entièrement refaite, parue en 1839. La première édition, publiée en 1833, diffère tellement de la seconde que l’on croirait avoir sous les yeux deux romans différents. Le dénouement de la première produit une tout autre impression que celui de la seconde. Dans le roman de 1833, Lélia meurt étranglée par Magnus, sans s’être réconciliée avec la vie, sans avoir trouvé un adoucissement à son désespoir, à son pessimisme dans l’activité sociale, sans avoir rien fait d’utile pour

  1. De nos jours, Maupassant a exprimé la même chose avec une force extraordinaire dans les pages de Sur L’Eau.