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nance continuelle d’enivrements et de désenchantements ; elle vivait sans s’épargner, ne mesurant ni les forces de l’âme, ni celles du corps, ne connaissant pas le doute, se livrant sans réserve à chaque nouveau sentiment et jouant chaque rôle avec toute la force de sa passion et de son talent. Elle appartenait à ce type d’artistes qui, selon l’expression russe, « jouent de leurs entrailles ». C’était une de ces natures qui, tout à coup, à force de sincérité peuvent, dans un même acte, être sublimes et médiocres, capables de conduire deux scènes de suite avec une puissance inimitable, pour tomber, dans la troisième, au-dessous du faible[1].

Elle aimait ses enfants passionnément et outre mesure et elle eût à essuyer de la part de plusieurs d’entre eux, comme de la part de beaucoup de ses relations, la froideur et l’ingratitude. Elle mourut épuisée par le chagrin d’avoir perdu son petit-fils, — sa joie, au milieu des privations les les plus horribles, — usée avant l’âge, comme brûlée par le feu intérieur qui la consumait[2].

Nous trouvons inutile de nous arrêter sur le chapitre de l’Histoire de ma Vie consacré à Marie Dorval, ce chapitre nous paraissant toutes les fois que nous l’avons relu, écrit pro domo sua. Par exemple, les rapports entre Mme  Dorval et sa fille qui lui a brisé le cœur, n’ont, évidemment, été

  1. C’est ainsi que, de nos jours, nous voyons Mme  Duse après la « scène avec le messager », merveilleuse de talent et de force dramatique, et la scène non moins admirable dans la tente d’Antoine, s’effacer, tomber dans la plus absolue médiocrité dans le dernier acte de la Cléopâtre de Shakespeare.
  2. Alexandre Dumas père, nous a laissé sur les derniers jours de Marie Dorval des pages d’un dramatique poignant, où il a donné une foule de détails touchants dans leur simplicité. (Voir : Les Morts vont vite. Œuvres complètes d’Al. Dumas père. Paris, Michel Lévy. Nouvelle édition, 1889, 2 vol. t. II, p. 241).