Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de franches et loyales infidélités ». En vain Sneyders essaye-t-il d’espionner les jeunes gens, il perd son temps. « On peut surprendre en flagrant délit des coupables, découvrir les manèges de la passion, — on ne peut surprendre ou démasquer un amour pur, profond et innocent ». Sneyders se met à railler le page, se moque de sa musique et de ses empressements ; peine inutile ! Alors, il recourt au crime, déguisé de la plus belle façon. Sous prétexte d’une mission urgente, Sneyders envoie le jeune page chez le gouverneur d’Anvers, son parent, espérant qu’il y sera retenu comme otage espagnol ou même tué (l’action se passe à l’époque de la lutte des Pays-Bas contre l’Espagne), d’autant plus que le gouverneur est l’ennemi juré du père et de toute la famille de Ramiro. Mais le vieux Sneyders se réjouit trop tôt d’avoir éconduit le jeune homme ; il a trop compté sur la perfidie de son parent, homme d’honneur ; il a oublié que le petit dieu capricieux protège ses fidèles adorateurs et se moque des vieillards, ses ennemis. Un jour, après un bon dîner et après avoir aiguisé sa langue sur l’ « Espagne, les femmes, les romances, les petits chiens et les pages, joueurs de guitare », Sneyders veut méchamment faire boire Juana à La santé du gouverneur d’Anvers. Il triomphe perfidement de sa victoire sur Ramiro et se réjouit déjà de sa mort, lorsque Juana, au désespoir du péril que court le jeune homme, prend le verre en main et, bouleversée par la cruelle plaisanterie de son mari, s’écrie : « Si la confiance des Anversois dans leur gouverneur est si aveugle, dit-elle, c’est qu’apparemment ils le savent incapable d’une action lâche et d’un crime inutile ».

Tout à coup une jeune voix se fait entendre sous la fenêtre, chantant le refrain d’une romance favorite de Juana, et celle-ci boit joyeusement à la santé de « son ami