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connu l’amour, quoique mariée depuis plusieurs années et en liaison toute de convenance comme il était de bon ton alors, avec un chevalier quelconque, tombe tout à coup amoureuse de l’acteur Lélio. Elle L’aime d’un amour tout différent des intrigues passagères et légères des vicomtesses et des comtesses de son entourage. Lélio, lui-même, ne ressemble en rien aux chevaliers et aux abbés poudrés, parfumés, maniérés, froidement pervertis, d’une élégance extérieure, d’une nullité de cœur effrayante, familiers du cercle de la marquise. Lélio était tout feu et tout âme : il ne mimait pas seulement les grands sentiments des héros de Corneille et de Racine, leur noblesse, leur fougue, — par sa nature il était lui-même un de ces héros. Il était beaucoup moins acteur sur la scène que ne l’étaient dans la vie les fats mondains qui entouraient la marquise. Disons plus, son jeu était si simple, si naturel et si plein de passion et de poésie, qu’il déplaisait aux amateurs contemporains de l’art dramatique, qui demandaient alors aux acteurs un jeu plus artificiel et plus maniéré. Mais la marquise, languissant au milieu d’une société mondaine où elle ne trouvait rien ni personne capable de toucher son cœur, ni ses sentiments, se prit d’amour pour Lélio uniquement pour la beauté de son âme qu’elle avait devinée, pour ce feu sacré qui illuminait son visage laid et sa personne chétive. La marquise était sur le point d’oublier pour Lélio sa réputation « impeccable », qui la rendait presque ridicule au milieu de ses amies frivoles ; mais en l’ayant vu hors de la scène, elle en fut désenchantée, car hors du théâtre c’était un homme laid, insignifiant, aux mouvements brusques et aux manières grossières. Alors L’amour de la marquise se trouva être encore plus en opposition avec sa vie réelle et devint une rêverie, où elle cherchait l’oubli de l’ennui qui