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ner Aurore et de l’effrayer. Seule, Émilie Châtiron qui connaissait parfaitement toutes les misères de la vie d’Aurore, comprit que la résolution de la jeune femme était la meilleure à laquelle elle pût avoir recours pour s’y soustraire et conjurer d’avance un dénouement plus funeste encore.

Dans l’Histoire de ma Vie, il n’est rien dit de l’événement dont parle la lettre, tout y est raconté de manière à laisser la cause définitive de la résolution d’Aurore assez inexpliquée. C’est ce qui fait que tous les biographes (à l’exception de miss Thomas, dont nous avons su plus haut reconnaître le mérite dû à son ouvrage[1]), s’étendent, en parlant de cet épisode de la vie d’Aurore Dudevant, sur son désir de gagner sa vie et regardent ce désir comme la raison définitive qui lui a fait abandonner Nohant, tandis qu’il n’en est qu’une des causes préliminaires. Sa lettre à Boucoiran prouve, au contraire, qu’Aurore voulait, avant tout, sauver sa personnalité, se mettre en dehors des volontés et du manque de volonté de son mari. Ce que nous avançons ici mérite une attention toute particulière, car c’est, selon nous, cette idée de liberté individuelle qui est la pierre angulaire de tous les écrits de George Sand. Cette « libération de l’individu », elle la prêcha toute sa vie et sous toutes les formes possibles, et non dans le sens étroit de la « femme libre » voire de « l’amour libre », comme beaucoup l’ont cru et le croient encore. Il semble que, seul, Dostoïevsky ait bien compris et bien rendu cette idée principale de toute l’œuvre de George Sand, ce qu’il y avait en elle d’éternellement vrai, de grand et d’inestimable et ce qui survivra au romantisme, au naturalisme,

  1. Voir le chapitre Ier de notre livre.