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une femme très pratique, sachant juger les gens. Elle avait sans doute remarqué dans le jeune Dudevant des traits qui l’avaient mise sur ses gardes et qui l’avaient rendue soucieuse pour l’avenir de sa fille. Nous verrons bientôt combien elle avait eu raison d’agir ainsi et quel service elle avait rendu à sa fille par sa prudence, service qui influa sur tout le reste de la vie de celle-ci. Aurore ne pouvait alors ni le comprendre, ni l’apprécier. Bien au contraire, cette mise en doute de la probité de son fiancé, ces comptes et ces calculs la révoltaient. « L’instinct des poètes commençait apparemment à se manifester en elle, » disait plus tard à ce sujet Michel de Bourges. Lorsqu’elle apprit que la fortune de son mari n’était à peu près que le dixième de la sienne[1], elle s’opposa à ce qu’il lui payât, de son argent à elle, la rente de 3.000 francs qui lui avait été assignée. Elle voulut que cette somme fût diminuée de moitié, et, pour égaliser autant que possible les avantages des deux fortunes, elle exigea généreusement qu’il y eût entre eux « communauté d’acquêts », c’est-à-dire que ce qu’on acquerrait dans la suite sur le revenu ou les économies de l’un des deux époux deviendrait propriété commune.

Le contrat de mariage resta toutefois soumis « au régime dotal », et ce fut un bonheur pour Aurore que les volontés de sa mère et de ses plus proches amis fussent exécutées. Le mariage fut conclu le 10 septembre 1822[2], et, après

  1. Il résulte d’une lettre de George Sand, écrite à sa mère, lors de son procès en séparation, qu’en 1822 la fortune de Casimir était évaluée à 60.000 francs, et qu’après la mort de son père en 1826, il avait hérité d’une somme approximative de 40.000 francs. (La lettre remonte à la fin de janvier 1836.)
  2. On lit dans le registre des actes de mariage de l’an 1822 : Du dix septembre mil huit cent vingt-deux. Onze heures du matin. Acte de