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jour, des rapports de simple camaraderie s’étaient établis entre eux, et Casimir, en parlant d’elle, disait souvent à Mme  Angèle : « Votre fille est un bon garçon ! » Aurore de son côté lui disait : « Votre gendre est un bon enfant ! » Le vieux Stanislas Hue s’écria un jour au jardin, pendant le jeu de barres : « Courez donc après votre mari. » Une autre fois Casimir, dans l’ardeur du jeu, s’écria : « Délivrez donc ma femme ! » À partir de ce moment, Casimir et Aurore, sans se gêner le moins du monde et sans penser aucunement à l’amour, s’appelèrent réciproquement mari et femme. Ils étaient tous deux aussi enfants que le petit Norbert et la petite Justine. Les personnes mûres attribuèrent cependant bientôt à ces relations quelque chose de sérieux. Stanislas Hue fut le premier à faire avec malveillance une allusion offensante, et répondit à Aurore qui lui demandait avec étonnement ce qu’il voulait dire, que ce serait en vain qu’elle continuât ce jeu, qu’elle n’épouserait jamais Casimir qui était trop riche pour elle.

La jeune fille qui avait pris tout cela comme des plaisanteries fut très offensée et, s’adressant à celui qu’elle appelait son père, elle lui demanda ce qu’elle avait à faire. Duplessis lui dit qu’avec le demi-million qu’elle possédait, elle était un très bon parti pour Casimir, que celui-ci, comme fils illégitime, n’avait droit qu’à la moitié de la fortune de son père, que l’autre moitié revenait à la femme de son père — sa belle-mère, et que la pension que son père recevait comme baron de l’Empire et officier en retraite de la Légion d’honneur lui était personnelle et après sa mort ne passerait point au fils. Ce serait donc lui, et non elle, qui y gagnerait, si le mariage venait à s’accomplir ; et que, comme jusque-là il n’en avait pas été question, il était facile à Aurore de faire cesser cette