Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son genre de vie fut aussi plus qu’extraordinaire pendant les dix mois où sa grand’mère fut entre la vie et la mort. Celle-ci était retombée en enfance, et sa petite-fille devait être jour et nuit auprès d’elle. Comme la grand’mère avait perdu toute notion du temps, elle exigeait souvent, au milieu de la nuit, qu’on causât ou qu’on jouât aux cartes avec elle. Aurore, qui pouvait toujours s’attendre à être appelée, dut autant que possible, réduire son sommeil et, veillant la malade alternativement avec Deschartres, elle ne pouvait plus se reposer que de deux nuits l’une, passant ainsi vingt-quatre, parfois quarante-huit heures sans dormir. Pour se tenir éveillée pendant ces longues nuits, elle commença à priser, à fumer, à boire du café très fort et même de l’eau-de-vie. Mais tout cela l’aidait fort peu et n’amenait qu’un grand affaiblissement de forces ; Deschartres, remarquant qu’Aurore s’ennuyait, privée de toute société intellectuelle, que les nuits passées sans sommeil et l’absence de mouvement nuisaient à sa santé, lui conseilla de reprendre les promenades à cheval qui lui avaient tant plu l’année précédente. Il lui adjoignit pour l’accompagner, André, un petit groom qu’il avait d’abord formé ; il donna à Aurore, pour les dresser l’un après l’autre tous les jeunes chevaux de Nohant, mais elle aimait surtout à monter Colette, sa jument favorite. Après trois ou quatre heures de sommeil (habitude qui lui rendit plus tard de grands services, lorsqu’elle eut à passer des nuits entières à travailler), Aurore faisait avant l’aube de grandes promenades à cheval, désirant être de retour avant le lever de sa grand’mère : Elle s’adonna de nouveau avec ardeur à ce sport favori, galopant tantôt à travers champs, si vite que le petit écuyer avait peine à la suivre, tantôt laissant flotter les rênes sur le cou de son intelligente bête et avançant au