Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nement la charmer aussi par son idéal mi-chrétien, mi-stoïque, et par ses sages préceptes. Quant à la philosophie et la science, elles sont le partage des hommes et des peuples mûrs. Les peuples dans leur enfance et les jeunes gens ne sont capables de comprendre la vérité que sous la forme de l’art et de la beauté. Les poètes, par le caractère de leur nature même, n’acceptent qu’avec peine les idées toutes nues, les images seules les frappent. Aurore, moitié enfant, moitié poète à cette époque, dut naturellement trouver bien plus de plaisir dans les poètes et les orateurs éloquents, comme Rousseau, que dans les purs et froids penseurs. Aurore avait beau s’efforcer de pénétrer les idées de Locke, de Mably et de Leibnitz, de se préparer à comprendre le grandiose système de ce dernier en étudiant la physique, la chimie et les mathématiques, sous la direction de Deschartres, qui s’était mis, avec le plus grand plaisir et un profond savoir, à enseigner des théorèmes et des axiomes à son élève autrefois si indocile, maintenant si studieuse ; toutes ces louables intentions ne l’amenèrent à rien. Aurore n’avait ni facilité pour les mathématiques, ni désir sérieux de savoir s’y prendre pour réussir. Elle était trop artiste et trop dilettante pour approfondir la science. Elle cessa ses leçons avec Deschartres sans trop se tourmenter de n’avoir pu s’approprier les systèmes philosophiques de Leibnitz et de Mably. Elle s’enfonça bien plus volontiers dans les idées de Rousseau. Ajoutons, que pendant toute sa vie, elle n’apporta pas plus de système et de persévérance à étudier les philosophes. En vraie femme, elle y puisait, plutôt par le sentiment que par l’esprit, ce qui convenait le mieux à sa nature d’artiste et à la disposition altruiste de son âme ; quant au reste, elle le rejetait sans