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y trouva une religion toute différente de celle qu’enseignait l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, qui avait été jusque-là son guide, le fil qui dirigeait sa vie. « Quitte-toi, abîme-toi, méprise-toi ; détruis ta raison, confonds ton jugement ; fuis le bruit des paroles humaines. Rampe et fais-toi poussière sous la loi du mystère divin ; n’aime rien, n’étudie rien ; ne connais rien, ne possède rien, ni dans tes mains, ni dans ton âme. Deviens une abstraction fondue et prosternée dans l’abstraction divine ; méprise l’humanité, détruis la nature ; fais de toi une poignée de cendre et tu seras heureux. Pour avoir tout, il faut tout quitter » — voilà ce qu’enseigne Gerson. « Élève ton âme, dit Chateaubriand, orne ton esprit, développe tes facultés, glorifie Dieu par tout ce que tu as de bon en toi, aime les hommes, la nature, la vie ; car la science, l’art, la beauté, tout cela est manifestation de Dieu. Il faut comprendre Dieu pour l’aimer. Pour comprendre le christianisme, il faut aimer les hommes et tout ce qui est beau. Le christianisme est la religion de la sublime poésie et de la beauté. »

En voulant se rendre compte de ces contradictions, Aurore fut épouvantée et sentit, pour la première fois, à quoi l’avaient menée sa soumission aveugle aux autorités de l’Église catholique et son désir de suivre, en tout point, les préceptes de Gerson. Elle comprit qu’elle s’était éloignée en esprit de sa famille, qu’elle avait trompé et qu’elle trompait encore son aïeule, en se soumettant extérieurement à sa volonté, mais en continuant secrètement à se préparer à entrer en religion, que, vivant dans les rêveries égoïstes de sa béatitude et de son salut et voulant « s’abrutir », elle avait agi contre la volonté de sa grand’mère et contre ses propres tendances instinctives. Dans sa vie, pendant ces dernières années, tout était contradiction et dualité qui lui