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s’efforçait de rester, à la campagne, fidèle à ses habitudes de travail intellectuel et d’avancer dans le perfectionnement et le développement de ses facultés. Néanmoins, les premiers mois de son séjour à Nohant lui furent pénibles. Elle était trop habituée à une nombreuse société de compagnes, et elle avait le mal du couvent, comme d’autres ont le mal du pays. « Mon cœur, dit-elle, s’était fait comme une habitude d’aimer beaucoup de personnes à la fois et de leur communiquer ou de recevoir d’elles un continuel aliment à la bienveillance et à l’enjouement. » Elle ajoute aussitôt après : « L’existence en commun avec des êtres doucement aimables et doucement aimés est l’idéal du bonheur[1]. » Ce bonheur lui manquait, elle devint mélancolique et ne comprenait pas comment, occupée du matin au soir, elle pouvait l’être. Heureusement le temps vint où elle connut de plus près et sut apprécier sa grand’mère. Les dix-huit derniers mois de la vie que Marie-Aurore de Saxe passa avec sa petite-fille, furent de toute importance pour le développement morale de celle-ci. « Mon affection pour elle se développait extrêmement. J’arrivais à la comprendre, à avoir le secret de ses douces faiblesses maternelles, à ne plus voir en elle le froid esprit fort que ma mère m’avait exagéré, mais bien la femme nerveuse et délicatement susceptible qui ne faisait souffrir que parce qu’elle souffrait elle-même à force d’aimer. » Aurore sut apprécier quelle excellente femme, quel grand esprit délicat et cultivé, était sa grand’mère, elle apprit peu à peu à faire la part de ses petites faiblesses et de ses petits préjugés provenant de son éducation et du cercle trop exclusivement restreint où elle avait vécu, et à les distin-

  1. Histoire de ma Vie, t. III. p. 267-268