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soires et de décors. La scène fut disposée de la manière la plus primitive, à l’aide de chaises, de bancs et de paravents. Le plus difficile était de confectionner des costumes d’hommes, qui ne choquassent point la pudeur des nonnes et qui ressemblassent cependant au costume Louis XIII. La difficulté fut éludée avec beaucoup d’adresse et d’invention, et un beau soir Aurore parut devant la communauté réunie, dans le rôle de Purgon, et ses compagnes sous la figure des autres personnages de la pièce. La comédie, qui passa pour être d’Aurore, fut enlevée avec gaieté et entrain. Le succès fut complet. Mme Canning et les religieuses rirent jusqu’aux larmes. Le génie comique de Molière, bien que « corrigé et complété » n’en enchanta pas moins les spectatrices. Aurore fut proclamée talent littéraire et comblée d’éloges et de félicitations. Elle garda certainement le silence sur son plagiat littéraire, afin de ne pas encourir la défense de jouer des pièces de théâtre, si par hasard on apprenait que la pièce n’était pas de son invention, mais de l’impie Molière.

Si nous nous sommes arrêté à dessein sur cet épisode, qui paraît à première vue fort insignifiant, c’est que nous avons voulu mettre en relief un des traits du caractère d’Aurore Dupin, que l’on peut suivre depuis son enfance jusqu’à l’âge mûr, et même jusqu’à la vieillesse. Ce trait, c’est sa passion pour le théâtre et pour tout ce qui le rappelle. Enfant, elle « jouait au théâtre » chez les Duvernet ; jeune fille, elle joue du Molière au couvent ; écrivain, elle emprunte avant tout ses sujets et ses héros au monde des tréteaux. Les héroïnes de ses premières œuvres sont des actrices ; des pages entières sont consacrées à la vie des coulisses. Dans l’âge mûr et dans la vieillesse, George Sand se divertit à Nohant, à ses moments perdus, à la comedia